ça devient une habitude, nous nous réveillons tôt (6h30). Il faut dire qu'une fois encore, le programme qui nous attend est chargé : un camping a été supprimé depuis le dernier passage d'Ivan, ce qui nous oblige à rallier en une seule étape le Campamento Serón, à environ 30 kilomètres. Autant dire que j'appréhende la réaction de mon genou à ce nouveau traitement de choc...
Au réveil, aucune douleur, mais je reste attentif dès nos premiers pas (nous quittons le camping à 8h00), et je sens que chaque mouvement imprévu (souvent provoqué par des pierres qui roulent sous les pieds) réveille l'inflammation. Cela reste cependant bien moins pénible que la fin d'étape de la veille, et nous progressons à un bon rythme à travers la forêt sur un terrain agréable, une fois les derniers pierriers dépassés. A vrai dire, Ivan imprime un train très soutenu car il envisage éventuellement de poursuivre seul jusqu'à l'entrée du parc, puis de se lever au milieu de la nuit pour aller admirer le lever du soleil au pied des tours (puisqu'il en avait été privé par sa gastro lors de notre arrivée dans le parc).
Vue générale arrière sur le massif de Torres del Paine
A 11h30 nous arrivons au Campamento Dickson, où nous avons la surprise de retrouver nos 2 amis français ! Comme prévu, ils ont prolongé l'étape de la veille jusqu'ici, mais ce véritable marathon les a laissés épuisés. Du coup ils finissent tout juste de se préparer au départ ! Mais aucun regret pour eux, la douche chaude valait apparemment la peine de puiser dans les réserves physiques, et les moustiques ont pu être tenus à distance raisonnable malgré quelques piqûres inévitables. Après une brève pause, qui me permet d'appliquer une nouvelle dose de crème anti-inflammatoire pendant que Fred achète des M&M's (qui se révèleront finalement être des smarties !), nous reprenons la route vers midi, laissant derrière nous le superbe site du campement Dickson (lac, forêt, glacier, tout y est).
Nous franchissons une montée brève mais raide pour rejoindre une zone plus plate, avec un chemin qui serpente à travers les hautes herbes. A 12h45, nous faisons halte près d'une petite rivière pour manger. Aujourd'hui, c'est un menu particulièrement luxueux qui nous attend : un Français rencontré la veille au soir nous a en effet fait cadeau de pâtes aux ufs (il cherchait à s'alléger pour sa prochaine étape ; il faut dire que son matériel antique et son manque de planification évident ne parlaient pas en sa faveur...) qui viennent à merveille compléter les lyophilisés du jour, des spaghettis bolognaise. De quoi refaire le plein d'énergie, et ce ne sera pas de trop avec l'après-midi qui nous attend (à ce stade, Ivan s'est rendu à l'évidence : son idée de rejoindre l'entrée du parc d'une seule traite est irréaliste).
A 13h45, nous reprenons notre marche vers le camping Serón, sur un chemin très agréable, généralement plat et traversant des paysages qui nous changent de ceux rencontrés jusqu'ici : des prairies de hautes herbes, dont les teintes vont du rouge au vert tendre, parsemées de quelques arbres de taille modeste, par moment on croit voir la savane africaine des reportages TV...
La vallée du Rio Paine
A 15h45, nous nous accordons une pause à l'emplacement de l'ancien camping aujourd'hui disparu, peu avant d'atteindre le lac Paine. Déjà plus de 6 heures de marche et la journée est loin d'être terminée... Florence profite de la halte pour nous faire une petite démonstration de yoga, bientôt imitée avec un succès relatif par Fred. Ambiance détendue, il faut profiter de ces derniers moments dans le parc...
A 16h00 nous nous remettons en route, et le terrain change nettement d'aspect : des montées vertigineuses au-dessus du lac se succèdent, on se dit parfois qu'il faudrait avoir du sang de bouquetin dans de tels sentiers ! Nous accueillons par ailleurs un invité de marque dans notre groupe, le célèbre vent de Patagonie... que nous attendions, car un petit symbole sur la carte indiquait qu'il souffle généralement fort dans cette zone du parc. Et autant dire que nous ne sommes pas déçus... Nous nous retrouvons secoués comme des fétus de paille au point d'être plusieurs fois déséquilibrés ; fort heureusement, la direction du vent nous est favorable, il a tendance à nous pousser dans le dos, ou au pire il vient de côté, mais jamais de face, sans quoi on peut se demander si nous aurions été capables d'arriver au sommet de certaines ascensions.
Le bruit qui accompagne les rafales est lui aussi impressionnant, on n'entend plus rien d'autre que ce souffle dans nos oreilles, il nous entoure complètement et finit par nous saouler littéralement, nous faisant atteindre cet état où l'on est légèrement grisé, sans pourtant avoir bu une goutte ! Expérience vraiment forte et inoubliable, qui nous accompagne encore pendant un moment après avoir franchi le sommet de la colline et retrouvé un terrain plus abrité.
Dans la descente, le retour des pierriers et l'usure des kilomètres (ceux du jour mais aussi, évidemment, tous ceux parcourus depuis notre départ) finissent par avoir le dessus sur mon genou, qui hisse cette fois clairement le drapeau blanc... Pourtant, il faut bien poursuivre, car le camping n'est pas encore en vue. La fin d'étape, malgré ses beaux paysages, est franchement pénible : à chaque fois, on espère apercevoir notre but à l'horizon, mais il se refuse encore et toujours au regard. Je culpabilise de ne pas profiter de ces instants passés dans un tel cadre, mais ne peux m'empêcher de rêver au bus du lendemain...
Ivan et Fred filent, je traîne la patte un peu plus loin, malgré tout plus en forme que Florence, très fatiguée et d'une humeur en rapport avec son état physique... Matthieu a lui disparu des radars lorsqu'il a décidé de gravir une colline pour réaliser un nouveau panorama, mais le simple fait d'avoir pris une initiative pareille tend à prouver que de son côté, tout va bien !
Temps incertain sur le Rio Paine
Ce n'est qu'à 18h15 que nous arrivons enfin au campement Serón, totalement lessivés et alors que de gros nuages noirs commencent à s'accumuler au-dessus de nos têtes. Je pose mon sac et m'écroule dans l'herbe, trop heureux de pouvoir enfin souffler, et ravi de constater que l'emplacement de notre dernier campement est très agréable, avec un tapis d'herbe moelleux à souhait. Mais il faut quand même penser à planter la tente tant que la pluie nous épargne, et nous sommes en train de l'installer lorsque Florence fait son apparition : sans prendre le temps de déposer son sac, elle tombe face contre terre, dans un style du plus bel effet mais qui nous inquiète un peu tout de même... Ivan demande à Matthieu si c'est normal, et la réponse ne marque aucune inquiétude : "oui, c'est du cinéma". Difficile à croire tout de même tant la chute était spectaculaire, mais en effet, après un bref silence qui laisse le suspense entier, nous entendons finalement Florence dire "oui oui, c'est ça, c'est du cinéma". Le ton n'est pas encore très enjoué, mais on sent quand même le soulagement d'être arrivée à destination !
Une fois installés, Fred ne peut résister à l'appel de la bière : après en avoir tant rêvé depuis plusieurs jours, il en achète une au petit kiosque tenu par le gardien du camping (nous sommes revenus dans la zone du parc qui est propriété d'un particulier). Le prix est exorbitant pour le pays (plus de 6 CHF), mais l'air réjoui de Fred dégustant le breuvage allongé devant la tente indique que la dépense était justifiée ! Malgré l'orage qui menace, nous mangeons au sec, dans une atmosphère douce bien agréable, et en compagnie de nos désormais "habituels" camarades français, avec qui nous faisons des échanges gastronomiques : ils nous offrent un peu de leur riz "al dente", alors que nous leur proposons de tester le lyophilisé du jour, du saumon à l'oseille avec des patates (probablement l'un des meilleurs du séjour, d'ailleurs).
Ensuite nous sommes invités à discuter un instant dans la cabane du gardien, qui s'ennuie visiblement ferme, et est payé une misère (environ 600 CHF par mois) pour travailler 7 jours sur 7 (et avec les nombreux randonneurs qui passent, il ne manque pas de travail !). Ivan négocie d'ailleurs une offre en or : lui qui avait prévu d'abandonner sa vieille tente bleue à l'entrée du parc, après 15 ans de bons et loyaux services, la propose au gardien en échange d'une dispense de payer le prix de nos emplacements pour la nuit. En incluant son matelas gonflable (qui a lui aussi quelques heures de vol et doit être regonflé au milieu de la nuit, mais bon...) dans la transaction, il obtient même la gratuité pour nos amis français et quelques barres de chocolat pour la fin du voyage ! Vers 21h30, nous allons nous coucher, pour notre toute dernière nuit sous tente... La joie de bientôt retrouver un vrai lit et une douche le dispute à la tristesse de voir le voyage toucher à son terme...